L’hypothèse d'un lien direct entre déforestation et émergence de zoonoses s’est imposée médiatiquement, puis a été reprise par les politiques, alors qu’elle n’a jamais été prouvée scientifiquement.
Par Jacques Tassin et Jean-Marc Roda, 19.03.2021
"... la date d’émergence de tout nouveau virus reste elle-même incertaine. On ne sait toujours pas quand le virus VIH est apparu chez l’être humain, si ce n’est que l’horloge moléculaire situe son origine dans les années 1940 avec une incertitude d’une quinzaine d’années. On ne sait pas non plus à quand remonte l’apparition du SARS-CoV-2, mais certains indices permettent d’imaginer que ce virus pourrait déjà avoir été présent chez l’être humain en 2012. Dans ces conditions, il est d’autant plus difficile d’établir des liens de causalité.
En écologie, il faut se méfier des « coupables idéaux »
Autre difficulté : en écologie, on sait qu’une tendance valable à une échelle peut s’inverser à une autre : par exemple, un milieu est d’autant plus « invasible » qu’il est pauvre en espèces à l’échelle d’une placette de quelques mètres carrés, mais qu’il est riche à l’échelle d’un paysage ou d’une région.
Cela a tout particulièrement été observé pour les plantes aquatiques, mais s’étend à l’ensemble du monde végétal. Dans ces conditions, à quelle échelle de temps et quelle échelle spatiale (du local au régional) faut-il se positionner quand on veut estimer le rôle de la déforestation ?
L’écologie, science de la complexité par excellence, s’accommode mal de simplismes. Tous les éléments que nous avons cités révèlent que le lien supposé entre la déforestation et l’émergence de zoonoses est non seulement hypothétique, mais indémontrable.
Partant de ce constat, il serait d’autant plus regrettable de s’enfermer dans cette unique voie explicative sans issue alors que nous savons, sur des bases statistiques irréfutables, que l’apparition des zoonoses est directement liée à la précarité et à l’insalubrité, à la concentration des habitations, à la mobilité humaine, à la taille de la population.
Mettre en lien la déforestation et les zoonoses n’est donc pas anodin, ni sans conséquence. Il ne s’agirait pas d’oublier, en premier lieu, que toutes résultent des mêmes causes : les conditions d’insalubrité et la précarité des populations rurales des zones tropicales.
C’est la recherche de terres à cultiver et de protéines de brousse, par une population mondiale en situation de grande précarité et d’insalubrité, qui constitue le moteur originel de la disparition des forêts tropicales et de l’émergence des zoonoses. En définitive, toute cette problématique est sous-tendue par notre terrible indifférence initiale à la situation rurale mondiale…"
[Image] Le nombre d’épidémies infectieuses et la taille de la population des pays de la région Asie-Pacifique se révèlent très fortement liés) CIRAD, Jean‑Marc Roda, à partir des données de FAOSTAT et GIDEON (échelles logarithmiques)
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Lien ci-dessus :
→ Les silences de la Chine, un virus repéré dès 2013, la fausse piste du pangolin... Enquête sur les origines du SARS-CoV-2.
Par Stéphane Foucart, 23.12.2020 https://www.lemonde.fr/sciences/article/2020/12/22/a-l-origine-de-la-pandemie-de-covid-19-un-virus-sars-cov-2-aux-sources-toujours-enigmatiques_6064168_1650684.html
(Re)lire aussi :
→ Covid-19 : la thèse de l’accident – De lapenseeecologique.com - 16 février, 17:25
→ Analyse de 65 ans de travaux sur le lien entre forêt, déforestation et émergence de maladies infectieuses - De www.cirad.fr - 15 mai 2020, 18:15
→ Coronavirus : la dégradation de la biodiversité en question - De www.lemonde.fr - 5 avril 2020, 00:00